Ref. : appel003
"Si je demandais à un oiseau pourquoi il a des ailes et pourquoi il chante, il me dirait : " Je ne sais pas". La création précède l'explication. Au début, j'ai sans doute exprimé la souffrance, la violence de mon époque et même la peur nucléaire. On a vu dans mes toiles c'est vrai des signes prémonitoires. Mais aujourd'hui, lorsque je regarde mon travail avec un certain recul je crois que j'ai surtout crié mon amour de la liberté. Dire non à l'ordre établi, c'est la vocation première de l'art. Vingt ans après, la jeunesse de mai 1968 m'a plutôt donné raison : un nouvel état d'esprit était en marche, plus spontané, plus critique. Le monde changeait. Notre groupe Cobra était simplement un peu en avance ! A l'époque nous voulions déjà repartir à neuf, comme des enfants..."
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel002
F.T.
Vous avez dit de votre œuvre :
" C'est une sorte de jouet pour adulte." Le mot "jouet" n'a t-il pas alors un sens autre, une densité inhabituelle ?
K.A.
le jeu est parfois une chose grave. L'homme, au fond joue à transformer la matière, entre la vie et la mort. Quel que soit l'avenir, je crois que les hommes sentiront mieux un jour que leur vie, dans le monde, est à l'image d'une sorte de "jeu". Je ne dis pas que la vie consiste à s'amuser ! Mais nous apprendrons peut-être à exprimer nos désirs ou nos travaux - même les plus sérieux - sur le mode du jeu : comme autant de "pièces" d'un jeu magique, tragique ou comique. Cet "esprit enfantin" qu'on a décelé dans mon œuvre pourrait bien être une projection - que je voudrais prophétique - vers l'avenir.
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel004
F.T.
"Une œuvre" marquée ici et là par une violence inouïe.
K.A.
C'est vrai, je suis un bagarreur, un homme qui frappe. J'ai voulu détruire l'enseignement que j'ai reçu, les "richesses" qu'on m'avaient apprises ou que j'avais vues. Me détruire moi-même pour recommencer dans le vide. J'ai peint d'abord des toiles blanches avec du blanc, puis je me suis mis progressivement à les détruire en les remplissant de masses colorées de plus en plus riches; D'où l'épaisseur de ma peinture. J'ai donc pris l'habitude de détruire jusqu'à ce que je trouve "l'expression". Souvent, la dernière tache ou le dernier trait me donnent une image inattendue dont la force expressive achève soudain la toile: c'est parfois entre l'animal et l'humain. Entre le visage et le paysage. Sans rupture. Une réalité saisie sur le mode fantastique.
C'est un cri.
J'aurai voulu avoir le regard d'un animal qui, pour la première fois, se mettrait à peindre le monde humain !
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel026
F.T.
Naguère, vous parliez d'"espace magique" pour situer une certaine dimension de votre recherche. Aujourd'hui, vous dites "pensée cinétique". Or, n'avez-vous pas toujours tenté de cerner le mouvement même de la vie et d'en épouser le cheminement ?
K.A.
J'ai toujours rêvé, c'est vrai, d'une forme d'expression qui traduise, sans tricher, le jeu mouvementé de la vie et de la matière. Par "pensée cinétique", expression provisoire, je veux dire une chose simple : pensée du mouvement et "saisie" - si possible - de ce mouvement dans sa spontanéité même au sein de la réalité vivante imprégnée d'imaginaire.
.../...
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel028
F.T.
Puisque tout commence chez vous par les couleurs, voyez vous en tant que peintre, celles de la pollution ?
K.A.
La couleur, en effet, est mon premier stimulant. Elle me frappe d'abord. Ensuite vient la forme, c'est à dire le dessin, et lorsque le dessin s'ébauche, j'interprète l'histoire. Les couleurs de la pollution, je les vois très bien. A l'horizon, par exemple, ce nuage jaune-ocre comme un parapluie pesant et, dans la rue, tous ces visages gris, presque incolores, durs, fatigués. Ils ne rient pas. Une sorte de tension grise (la chimie de la mort) devient visible. Dans les villes, les couleurs de la nature s'en vont. L'océan jaunit. Les toiles colorées du monde sont disposées autrement. Le travail de la couleur permet à un peintre de voir beaucoup plus vite ce qui arrive à une planète de robots-techniciens usée par la pollution et par le mépris de la nature...
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel032
Ref. : appel047
K.A.
Je voudrais être un miroir anticipateur... Un rêve ! Mais disons que j'ai été très tôt un prophète de la violence, celle de notre monde actuel, un barbare annonçant une nouvelle barbarie.
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel052
K.A.
Ce n'est pas toujours facile de se faire un autre regard. Il faut être sévère avec soi-même. Facile à dire ! J'ai dessiné beaucoup de nus dans ma vie. Je me souviens d'un jeune modèle hollandais dont la peau était d'une blancheur inouïe. Je n'arrivais pas à dessiner cette jeune femme parce qu'elle me plaisait trop ! Regarder un modèle avec des yeux troublés, sexuellement, c'est risquer de faire de la mauvaise peinture, de tomber dans la confusion. J'ai appris très tôt à regarder les femmes comme des natures mortes. Pour s'exprimer vraiment, le peintre, dans son atelier, est contraint d'avoir une position autre, ascétique, devant le spectacle du monde."
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel055
K.A.
"J'ai eu un coup de foudre en étudiant la peinture de Van Gogh ! si extraordinairement simple, si concentrée ! Dans la même touche- forme, matière , couleur - il savait faire passer toute l'énergie de la nature. Comme il osait déformer le réel pour accueillir l'imaginaire ! Van Gogh regardait le ciel et y voyait un rythme coloré que personne n'avait vu avant lui. Son bleu déformait le ciel et en créait un autre qui devenait celui de millions de gens. Van Gogh m'a fait comprendre que la volonté est peut-être encore plus puissante et féconde que le talent. En prenant le risque d'une solitude inconcevable, Van Gogh est devenu héroïque jusque dans sa manière de vivre."
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel078
F.T.
Vous avez fait le pari de la liberté. Mais peut-on imaginer un monde sans contrainte ? Pensez-vous qu'un tel monde soit possible ? Ne relèverait-il pas plutôt d'une belle utopie ?
K.A.
Je refuse viscéralement les sociétés qui tendetn à faire de chacun de nous un prisonnier. Un prisonnier des autres ou de soi-même ! Je redoute le spectacle d'une humanité bureaucratique où chacun r^verait obscurément de se laisser enfermer dans une cage - comme un canari - à condition qu'on lui apporte sécurité et nourriture.
Autrefois, l'idée révolutionnaire était aussi un saut de l'imagination dans l'inconnu. Un risuqe généreux. Aujourd'hui, l'idée est planifiée d'avance. Elle devient un programme et, du même coup, un frein. Que penser d'une société qui rêve d'assurer l'homme jusqu'à la mort - fosse commune et enterrement compris - et même au delà. Eh bien justement pour moi, la vraie mort c'est cela : la mort vivante. Un monde où l'homme se laisse si bien dominer par son propre système qu'il en devient l'esclave inconscient. C'est pourquoi je fais entrer de plus en plus la nature dans mes tableaux. La nature reste aujourd'hui la seule réalité libre car sa puissance est plus grande que celle de l'homme. Méfions nous pourtant de ses futures révoltes.
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel063
F.T.
Ces êtres inconnus que vous scultez, que vous peignez, vous étonnent-ils parfois, comme s'ils étaient des intrus dans vos propres domaines ?
A.K.
Ces êtres, je cherche parfois leur identité. Des planétaires ? Souvent ma propre créationme paraît insolite. A certains moments, j'ai l'impression - agréable ou désagréable - d'être dirigé, de n'être plus rien du tout : c'est un autre moi qui intervient. Avant, je disais : c'est la main qui est mon moteur. Aujourd'hui, je cherche à comprendre la force qui est le moteur de ma propre main... Peut-être "l'œil extatique"?
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Ref. : appel062
"L'art est comme une brèche par laquelle se transmet la vie"
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.
Karel Appel, peintre du mouvement COBRA, Frédéric de Towarnicki
conversation, Monaco, 1984
Ref. : appel001
"J'aurai voulu avoir le regard d'un animal qui, pour la première fois, se mettrait à peindre le monde humain!"
In "Propos en liberté de Karel Appel" avec Frédéric de Towarnicki. Edition Galilée, 1985.